Les Révolutionnaires : De Robespierre à Che Guevara
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Les Révolutionnaires : De Robespierre à Che Guevara

Par Historic Figures
19 min de lecture

De la Terreur française aux guérillas latino-américaines, découvrez les hommes et femmes qui ont voulu changer le monde par la force. Leurs idéaux, leurs méthodes, leurs contradictions - et ce qu'ils nous apprennent sur le prix du changement radical.

Les Révolutionnaires : De Robespierre à Che Guevara

Qu’est-ce qu’un révolutionnaire ? Pas simplement quelqu’un qui veut le changement - beaucoup le veulent. Le révolutionnaire est celui qui croit que le système actuel est si corrompu, si injuste, qu’il ne peut être réformé. Il faut le renverser. Par la force s’il le faut. Et construire un monde nouveau sur ses ruines.

Cette conviction a animé des hommes et des femmes à travers l’histoire. Certains sont devenus des héros, d’autres des tyrans - parfois les deux. Robespierre voulait une République de Vertu et finit par envoyer ses amis à l’échafaud. Lénine rêvait d’émancipation ouvrière et créa un État policier. Che Guevara cherchait à libérer les peuples et mourut dans une embuscade bolivienne, trahi et seul.

Leurs histoires nous fascinent et nous troublent. Elles posent des questions qui n’ont pas de réponses simples : peut-on faire le bien par la violence ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Comment les plus beaux idéaux peuvent-ils engendrer les pires horreurs ?

Maximilien Robespierre (1758-1794) : L’Incorruptible et la Terreur

L’Avocat des Pauvres

Avant d’être le symbole de la Terreur, Robespierre était “l’Incorruptible” - un avocat provincial qui défendait les sans-voix. Né à Arras en 1758, orphelin à six ans, élevé par sa famille, il devint avocat et se fit remarquer par ses plaidoiries pour les humbles contre les puissants.

Élu aux États généraux de 1789, il se distingua par son éloquence et son intransigeance. Tandis que d’autres révolutionnaires venaient de la noblesse ou de la grande bourgeoisie, Robespierre parlait pour le peuple. Il s’opposait à la peine de mort, défendait le suffrage universel, réclamait l’abolition de l’esclavage. Ses positions semblaient alors utopiques.

Il vivait modestement, refusait les pots-de-vin, ne s’enrichissait pas. Dans une révolution où beaucoup faisaient fortune, cette probité était remarquable. On l’appelait “l’Incorruptible” sans ironie. Il incarnait l’idéal révolutionnaire : un homme dévoué à la cause, sans intérêts personnels.

La Logique de la Terreur

Mais la Révolution s’emballa. La guerre contre les monarchies européennes, les révoltes intérieures, la trahison du roi conduisirent à une radicalisation. En 1793, Robespierre devint membre du Comité de salut public - le gouvernement révolutionnaire de fait.

Pour sauver la République, il fallait, pensait-il, éliminer ses ennemis. D’abord les royalistes et les traîtres évidents. Puis les modérés qui freinaient la révolution. Puis les extrémistes qui la compromettaient. La liste des ennemis s’allongeait sans cesse.

Robespierre développa une théorie de la “vertu révolutionnaire”. La terreur sans la vertu est funeste, disait-il, mais la vertu sans la terreur est impuissante. En temps de révolution, la clémence envers les ennemis du peuple est une trahison du peuple. La guillotine devint l’instrument de la purification.

En un an, environ 17 000 personnes furent officiellement exécutées, peut-être 40 000 en comptant les morts en prison et les exécutions sommaires. Parmi eux, des aristocrates et des prêtres, mais surtout des gens du peuple - paysans vendéens, artisans lyonnais, suspects de toutes conditions.

La Chute

Le plus troublant est que Robespierre croyait sincèrement faire le bien. Il ne tirait aucun plaisir de la violence, n’était pas un sadique. Il se voyait comme le serviteur d’une cause sacrée, prêt à tous les sacrifices - y compris celui de son humanité.

Mais la machine s’emballa. Quand Robespierre s’en prit à des députés de la Convention, ceux-ci comprirent qu’ils seraient les prochains. Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), ils le firent arrêter. Le lendemain, Robespierre était guillotiné avec ses partisans.

L’Incorruptible mourut à 36 ans, persuadé d’avoir raison. Ses derniers mots restent inconnus - il avait la mâchoire fracassée par une balle. Son corps fut jeté dans une fosse commune, recouvert de chaux vive. La Révolution dévorait ses enfants.

Simón Bolívar (1783-1830) : Le Libertador

L’Héritier Révolté

Simón Bolívar naquit dans l’une des familles les plus riches du Venezuela colonial. Aristocrate, propriétaire d’esclaves, éduqué en Europe, il avait tout pour devenir un pilier de l’ordre établi. Il choisit de le détruire.

Son précepteur, Simón Rodríguez, lui avait inculqué les idées des Lumières. Lors d’un voyage en Europe, le jeune Bolívar assista au couronnement de Napoléon. Sur le mont Sacré de Rome, il fit un serment solennel : libérer l’Amérique du Sud de la domination espagnole.

Il tint parole. Pendant quinze ans, de 1811 à 1826, Bolívar mena une guerre d’indépendance épique. Il traversa les Andes avec une armée en haillons, perdit tout plusieurs fois, s’exila, revint. Il libéra le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, fonda la Bolivie qui porte son nom.

Le Dictateur Malgré Lui

Mais Bolívar découvrit que gagner la guerre n’était que le début. Construire des nations sur les ruines de l’empire colonial s’avéra bien plus difficile. Les anciennes colonies se déchirèrent entre elles et en elles-mêmes. Les généraux de l’indépendance devinrent des caudillos rivaux.

Bolívar rêvait d’une grande fédération latino-américaine, un contrepoids aux États-Unis et à l’Europe. Il échoua. Les nationalismes locaux, les intérêts particuliers, les rivalités personnelles firent éclater son rêve. La Grande Colombie qu’il avait créée se fragmenta.

Face au chaos, Bolívar se fit de plus en plus autoritaire. Il s’octroya des pouvoirs dictatoriaux, réprima des révoltes, échappa à des tentatives d’assassinat. L’homme qui avait libéré des millions de personnes devint impopulaire, accusé de vouloir devenir roi.

L’Amertume Finale

En 1830, malade, épuisé, Bolívar quitta le pouvoir et s’apprêta à partir en exil. Il mourut de tuberculose avant d’embarquer, à 47 ans. Ses derniers mots, selon la légende : “J’ai labouré la mer.”

Le Libertador mourut convaincu d’avoir échoué. “L’Amérique est ingouvernable”, écrivit-il. “Ceux qui ont servi la révolution ont labouré la mer.” Il avait libéré un continent mais n’avait pas su le construire.

Aujourd’hui, Bolívar est vénéré dans toute l’Amérique latine. Chávez se réclamait de lui, comme Maduro et bien d’autres. Son image est partout, son nom sur des places, des monnaies, un pays entier. Mais ses contradictions demeurent : le libérateur autoritaire, le démocrate dictateur, le rêveur déçu.

Lénine (1870-1924) : L’Architecte du Communisme

Le Révolutionnaire Professionnel

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, venait d’une famille de la petite noblesse éduquée. Son frère aîné, Alexandre, fut pendu pour avoir participé à un complot contre le tsar. Cette exécution radicalisa le jeune Vladimir. Il avait 17 ans et jurait de venger son frère.

Lénine devint ce qu’il appelait un “révolutionnaire professionnel”. Pas un rêveur, pas un agitateur occasionnel, mais quelqu’un qui consacrait chaque instant de sa vie à la révolution. Il étudia Marx avec une intensité quasi-religieuse, vécut en exil, organisa des réseaux clandestins, attendit son heure.

Son génie fut organisationnel. Lénine comprit que la révolution ne viendrait pas spontanément des masses. Il fallait un parti d’avant-garde, discipliné, centralisé, qui guiderait le prolétariat. Ce parti - les bolchéviks - serait l’instrument de l’histoire.

La Prise du Pouvoir

En février 1917, le tsarisme s’effondra. Lénine revint d’exil en Russie, dans un train scellé fourni par les Allemands qui espéraient qu’il déstabiliserait leur ennemi. Il arriva avec un programme simple : “Paix, terre, pain.”

En octobre 1917, les bolchéviks prirent le pouvoir lors d’un coup d’État presque sans effusion de sang. Lénine devint le chef du premier État socialiste de l’histoire. Il avait 47 ans et pensait que la révolution mondiale était imminente.

Elle ne vint pas. Au lieu de cela, la Russie plongea dans une guerre civile atroce. Lénine et ses camarades durent improviser, réprimer, terroriser. La Tcheka, police politique, élimina les “ennemis de classe” par dizaines de milliers. Les camps de concentration apparurent. La terreur rouge répondit à la terreur blanche.

L’Héritage Empoisonné

Lénine justifia la violence par la nécessité historique. La dictature du prolétariat était une étape nécessaire, disait-il. Une fois les ennemis de classe éliminés, l’État dépérirait. Le communisme adviendrait.

Mais l’État ne dépérit pas. Il grandit, se renforça, devint tentaculaire. Lénine lui-même s’en inquiéta vers la fin de sa vie. Dans son testament politique, il mettait en garde contre Staline, qu’il trouvait trop brutal, trop avide de pouvoir.

Lénine mourut en 1924, à 53 ans, après plusieurs attaques cérébrales. Son corps fut embaumé et exposé dans un mausolée - un culte de la personnalité qu’il aurait probablement réprouvé. Staline prit le pouvoir et transforma l’URSS en machine totalitaire. Lénine avait créé les outils ; Staline les utilisa.

Était-ce inévitable ? Les historiens en débattent. Certains voient en Lénine le précurseur direct de Staline. D’autres pensent qu’une autre voie était possible. Ce qui est sûr, c’est que la révolution qu’il avait rêvée émancipatrice devint l’une des plus grandes tyrannies de l’histoire.

Che Guevara (1928-1967) : L’Icône Tragique

Le Médecin Vagabond

Ernesto Guevara naquit en 1928 dans une famille argentine de la classe moyenne. Asthmatique, il lut énormément pendant ses crises - et développa une volonté de fer pour surmonter sa faiblesse. Il étudia la médecine et, diplôme en poche, partit explorer l’Amérique latine à moto.

Ce voyage le transforma. Il vit la misère des mineurs boliviens, des paysans péruviens, des lépreux amazoniens. Il comprit que la médecine ne suffisait pas. Pour guérir ces maux, il fallait changer le système. Il devint révolutionnaire.

Au Mexique, il rencontra Fidel Castro, qui préparait une expédition pour renverser le dictateur cubain Batista. Guevara s’engagea comme médecin de l’expédition. Il devint bien plus : un commandant de guérilla, un stratège, l’un des architectes de la révolution cubaine.

Cuba et Après

La révolution cubaine triompha en 1959. Guevara, devenu “Che”, occupa des postes importants : président de la Banque nationale, ministre de l’Industrie. Mais il s’ennuyait dans les bureaux. La révolution cubaine était faite ; il voulait l’exporter.

Car le Che croyait à la révolution permanente. Le capitalisme était un système mondial ; il fallait le combattre partout. Un, deux, trois Vietnam, disait-il. Créer des foyers de guérilla dans le monde entier, épuiser l’impérialisme américain.

Il quitta Cuba en 1965 pour porter la révolution ailleurs. D’abord au Congo, où sa tentative de guérilla échoua lamentablement. Puis en Bolivie, où il espérait déclencher un soulèvement continental.

La Mort d’un Mythe

La guérilla bolivienne fut un désastre. Les paysans locaux ne se soulevèrent pas. L’armée bolivienne, entraînée par la CIA, traqua les guérilleros. Malade, isolé, trahi, le Che fut capturé en octobre 1967.

Il fut exécuté le lendemain, sur ordre des autorités boliviennes et avec l’assentiment américain. Il avait 39 ans. Ses derniers mots, selon ses bourreaux : “Je sais que vous venez me tuer. Tirez, lâche, vous n’allez tuer qu’un homme.”

La mort du Che le transforma en icône. Son visage, photographié par Alberto Korda, devint l’une des images les plus reproduites du XXe siècle. Symbole de rébellion pour les uns, de terrorisme pour les autres, il incarne encore aujourd’hui l’idéal révolutionnaire - et ses contradictions.

Car le Che était aussi impitoyable. Il supervisa des exécutions sommaires à Cuba, considérait la violence comme une nécessité, méprisait la démocratie “bourgeoise”. L’homme au visage romantique était aussi un dur, convaincu que la fin justifiait les moyens.

Rosa Luxemburg (1871-1919) : La Rose Rouge

L’Intellectuelle Révolutionnaire

Parmi ces figures masculines, une femme se distingue. Rosa Luxemburg naquit en 1871 dans une famille juive polonaise. Petite, boiteuse, elle compensa ses handicaps physiques par une intelligence et une énergie extraordinaires.

Elle devint l’une des plus grandes théoriciennes marxistes de son temps. Ses écrits sur l’impérialisme, l’accumulation du capital, la démocratie révolutionnaire influencent encore la pensée de gauche. Elle était la seule à oser contredire Lénine, critiquant son autoritarisme et défendant une révolution par en bas, pas par en haut.

Luxemburg croyait à la spontanéité des masses. La révolution viendrait des travailleurs eux-mêmes, pas d’un parti d’avant-garde. La démocratie n’était pas un luxe bourgeois mais une nécessité révolutionnaire. “La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement”, écrivit-elle.

Le Spartakisme

En 1918, l’Allemagne s’effondra. Luxemburg et Karl Liebknecht fondèrent la Ligue spartakiste, puis le Parti communiste allemand. En janvier 1919, ils tentèrent une insurrection à Berlin.

L’insurrection échoua. Le gouvernement social-démocrate, allié aux corps francs d’extrême droite, réprima le soulèvement. Luxemburg et Liebknecht furent arrêtés, torturés, assassinés. Le corps de Rosa fut jeté dans un canal. Elle avait 47 ans.

Son assassinat marqua la gauche allemande pour des décennies. Si Luxemburg avait vécu, l’histoire aurait-elle été différente ? Aurait-elle pu contrebalancer la montée du stalinisme, proposer une autre voie ? On ne le saura jamais.

Ce que nous Enseignent ces Histoires

La Tragédie du Révolutionnaire

Tous ces révolutionnaires partageaient une conviction : le monde est injuste, et il faut le changer radicalement. Tous étaient prêts à mourir pour cette conviction - et à tuer. C’est là que commencent les problèmes.

Car la violence révolutionnaire a sa propre logique. Une fois déclenchée, elle est difficile à arrêter. Les ennemis se multiplient, la paranoïa grandit, la terreur s’installe. Robespierre guillotinait ses amis. Lénine créa la Tcheka. Même Che Guevara, le romantique, supervisait des exécutions.

Le révolutionnaire commence souvent par vouloir libérer les opprimés. Il finit parfois par devenir lui-même oppresseur. La révolution dévore ses enfants - mais aussi, souvent, les peuples qu’elle prétendait libérer.

La Question des Moyens

Rosa Luxemburg posait la bonne question : peut-on construire une société libre par des moyens autoritaires ? Sa réponse était non. La démocratie n’est pas un obstacle à la révolution, mais sa condition. Un parti qui prend le pouvoir par la force le gardera par la force.

L’histoire lui a donné raison. Les révolutions qui ont supprimé la démocratie n’ont pas créé des sociétés plus libres, mais des tyrannies. L’URSS de Staline, la Chine de Mao, le Cambodge de Pol Pot : les plus grandes catastrophes du XXe siècle sont nées de révolutions qui prétendaient libérer l’humanité.

Cela ne signifie pas que tout changement radical est impossible ou mauvais. Cela signifie que les moyens comptent autant que les fins. Un monde meilleur ne peut être construit sur des montagnes de cadavres.

L’Attrait Persistant de la Révolution

Pourtant, l’idée révolutionnaire persiste. Chaque génération produit ses jeunes gens convaincus que le système est pourri, qu’il faut tout changer, que la violence est parfois nécessaire. Les visages changent - Robespierre, Lénine, le Che - mais la conviction reste.

C’est que l’injustice reste aussi. Le monde est effectivement injuste. Des milliards de personnes vivent dans la pauvreté pendant que quelques-uns accumulent des fortunes obscènes. Les réformes graduelles semblent toujours trop lentes, trop timides. La tentation du raccourci révolutionnaire demeure.

Mais les révolutionnaires que nous avons étudiés nous mettent en garde. Leurs histoires montrent que le raccourci mène souvent à l’impasse - ou au précipice. Changer le monde est nécessaire ; le faire par la violence et l’autoritarisme produit généralement l’inverse de ce qu’on espérait.

Conclusion : Entre Idéal et Réalité

De Robespierre à Che Guevara, les révolutionnaires nous fascinent parce qu’ils ont osé. Ils ont refusé l’injustice du monde, risqué leur vie pour leurs idéaux, parfois transformé l’histoire. Sans eux, nous vivrions peut-être encore sous des monarchies absolues ou des empires coloniaux.

Mais ils nous troublent aussi parce qu’ils ont échoué - ou parce que leur succès a engendré de nouvelles horreurs. La Révolution française a accouché de la Terreur. La révolution russe a produit le goulag. Les guérillas du Che n’ont libéré personne.

Peut-être la leçon est-elle que changer le monde est plus difficile qu’il n’y paraît. Que les systèmes injustes se défendent, que les révolutions dérapent, que les humains ne sont pas aussi malléables que les idéologies le supposent. Que la politique est l’art du possible, pas du souhaitable.

Ou peut-être la leçon est-elle différente. Peut-être ces révolutionnaires nous montrent-ils qu’il faut lutter pour la justice - mais autrement. Par l’organisation patiente, la résistance non-violente, la construction d’alternatives. Gandhi et Martin Luther King ont changé le monde sans prendre les armes.

Ce qui est sûr, c’est que l’injustice continue d’exister et que des gens continueront de vouloir la combattre. Certains choisiront la voie révolutionnaire, avec ses promesses et ses dangers. D’autres chercheront d’autres chemins.

L’histoire n’est pas finie. Elle continue de s’écrire - par nous tous.